Une fois que la décision de relancer la faïence à Desvres était prise, j’ai dû me rendre à l’évidence, je partais avec une énorme lacune : je ne connaissais absolument rien à la céramique.
A part savoir de quelle argile était faite mon service de mariage, c’était bien tout.
Pourtant, il fallait reprendre les sujets un par un : quelles étaient les techniques de fabrication utilisées dans les manufactures autrefois ? Est-ce qu’elles étaient toujours enseignées ? Est-ce que concrètement c’était viable d’envisager une production en petite série avec ces méthodes ? Etc, etc…
J’ai souvent entendu : « mais pourquoi tu veux apprendre le métier ? » ou encore « il y a une courbe d’apprentissage de 10 ans pour être céramiste ». Comment leur répondre simplement ? Il me semblait impossible de ne pas savoir de quoi je parlais. Il fallait que je sache d’abord si la matière, l’argile m’appelait, me parlait. J’avais aussi besoin de comprendre concrètement le rythme de production, les tâches, le temps passé, l’engagement physique que cela demandait. Sinon comment recruter, manager, gérer un modèle économique ? Et surtout je voulais avoir une vague sensation de contrôle sur cet énorme changement dans ma vie.
Dont acte. Opération formation ! Nous étions au mois de mai 2022, il fallait trouver pour le mois de septembre. Je ne voulais pas perdre trop de temps, il fallait démarrer au plus vite pour être en capacité de monter un business plan. Mais alors avec qui ? Comment ? Qui pouvait m’apprendre la technique ancestrale de coulage dans les moules en plâtre qui se pratiquait à Desvres ? Hors de question de perdre une année à faire le CAP tournage qui n’allait de toutes les façons pas m’apprendre cette technique. J’ai fini par identifier deux ateliers à Paris. Deux. C’est si peu au regard de ce qu’ont été les faïenceries en France. Je ne vous parle même pas du fait que dans le Pas-de-Calais il n’y a plus de CAP faïence depuis des dizaines d’années.
Comme souvent c’est une histoire de rencontre. J’ai appelé l’atelier Garrigues et je suis tombée sur Alexandra Garrigues. Alex, une des premières personnes que j’ai trouvée sur le chemin de ce projet. Une des premières qui m’a dit : « mais oui il faut le faire, c’est une super idée ». Alexandra travaille le plâtre depuis toujours, elle est si douée. Au premier appel j’étais convaincue, ma formation ce serait là-bas et pas ailleurs.
Le programme était simple : une formation professionnalisante de 4 mois, deux jours par semaine en petite équipe. Autant dire un vrai luxe. Le contenu de la formation m’a tout de suite interpellé : on passait en revue toutes les techniques de modelage, le moulage, le coulage, l’émaillage, les cuissons. C’était la base et j’en avais grand besoin. Seul problème, à l’atelier Garrigues on travaille le grès et la porcelaine. Pas la faïence. Donc pas les mêmes techniques de cuissons, d’émaillage, de retrait, … Mais peu importe je n’avais le luxe de dire non, il fallait apprendre et vite.
Alors je me suis rendue un matin d’automne, sur mon vélo, à l’atelier Garrigues. Au bout de quelques heures j’ai dû mettre les mains dans l’argile pour préparer la pâte pour le lendemain. Et j’ai su. Bien sûr que c’était agréable, bien sûr que je n’étais pas dégoutée de pétrir ce magma de terre collante qui sentait le sous-bois. J’en ai eu les larmes aux yeux. J’étais au bon endroit. C’était bien ici le début de l’aventure.